Mathias HOUNKPE a/s retrait du droit de grève: « La recherche du juste milieu est le chemin de la consolidation de la démocratie et de l’État de droit »

Le Politologue Mathias Hounkpe, dans une analyse minutieuse s’est prononcé sur le retrait du droit de grève au Bénin. Il se demande jusqu’où vaudrait-il mieux ne pas aller ? Lire son analyse

L’hypothèse fondamentale sur laquelle repose tout ce papier est que les honorables députés qui ont voté, le 28 décembre 2017, pour le retrait du droit de grève aux travailleurs des secteurs de la Santé et de la Justice sont de bonne foi et animés des meilleures intentions pour le pays. Même dans cette hypothèse, ce vote représente une véritable menace pour l’intérêt général et pour la consolidation de la démocratie et des Droits de l’Homme au Bénin. Cette affirmation est soutenue par plusieurs raisons développées dans les lignes qui suivent.

Première raison, rendre ce texte exécutoire ne serait ni plus ni moins qu’une violation flagrante de notre Constitution. Et invoquer la décision (très discutable sur laquelle nous reviendrons) de la Cour Constitutionnelle de 2011 (Décision DCC 11-065 du 30 Septembre 2011) qui a jugé le retrait du droit de grève aux hommes en uniformes conforme à la Constitution ne changera rien à cela. Il n’est pas dans notre intérêt, nous Béninois, d’encourager la violation de la Constitution, surtout par ceux qui en sont constitutionnellement les garants. Et il est parfaitement normal qu’un organe tel que la Cour constitutionnelle ou, le cas échéant, la Cour suprême, opère un revirement de jurisprudence si cela s’impose au regard du droit et de l’évolution du contexte et de l’intérêt général, sans pour autant qu’il s’agisse de revirements intéressés. Ceci est encore plus justifiable si une telle attitude permet de coller davantage à l’esprit et à la lettre de la Constitution.

Deuxième raison, rendre ce texte exécutoire, contribuerait à entériner une discrimination inutile entre les travailleurs béninois. En effet, si les députés sont convaincus qu’il est possible dans le contexte actuel du Bénin que les travailleurs puissent défendre de manière crédible leurs droits sans recours à la grève (ce dont on ne peut que douter !), pourquoi alors supprimer le droit de grève seulement pour une catégorie de travailleurs ? Il suffira de partager avec les Béninois la manière dont cela peut se faire et ensuite retirer le droit de grève à tous les travailleurs. Il convient de rappeler ici que l’article 8 de la Constitution, relatif au caractère sacré et inviolable de la personne humaine, place l’accès à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle, à l’emploi sur un pied d’égalité.

Troisième raison, rendre ce texte exécutoire, constituerait une menace grave sur l’avenir de la démocratie et de l’Etat de droit au Bénin. En effet, les articles 20 (le caractère inviolable du domicile), 24 (liberté de presse), 25 (liberté d’aller et venir, liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation), 31 (droit de grève), 37 (le caractère sacré et inviolable des biens publics) etc. sont rédigés dans le même esprit. La Constitution les a installés sur le même palier, celui des droits fondamentaux qu’ils consacrent et n’autorisent les députés qu’à voter des lois pour encadrer la jouissance desdits droits.

Le vote des députés pour le retrait du droit de grève aux travailleurs de la santé et de la justice n’est ni plus ni moins qu’une confusion de deux rôles. Il y a, d’un côté, le rôle de celui qui est chargé d’encadrer les conditions de jouissance d’un droit acquis (à l’aide de lois ordinaires) et de l’autre, le rôle de celui qui juge de l’opportunité du droit, un droit déjà consacré par la Constitution. Le 28 décembre 2017, et même en 2011 déjà, les députés étaient dans le premier rôle. Permettre et encourager cette confusion représente une menace grave sur tous les droits cités au paragraphe précédent. En continuant à prêter la bonne foi aux députés de la législature actuelle, il suffit d’imaginer un jour une majorité de députés qui ne seraient pas dans un tel état d’esprit. La même confusion, qui a conduit au vote du 28 décembre dernier, pourrait permettre le retrait de tout ou partie de tous les droits cités ci-dessus (y compris le caractère sacré et inviolable du bien public). Le danger de la situation actuelle ne tient donc pas seulement à ses conséquences immédiates, déjà fort redoutables, mais encore et peut-être davantage à ses conséquences futures qui seraient imprévisibles et totalement hors de contrôle. Ni les parlementaires actuels, ni la Cour constitutionnelle, ne sauraient ni n’auraient intérêt à prendre le risque certain d’une responsabilité aussi préjudiciables aux intérêts de la Nation et de la démocratie !

Quatrième raison, et pour m’en arrêter là aujourd’hui, rendre ce texte exécutoire ne serait rien d’autre qu’un encouragement à la violation des lois de la République qui a commencé depuis quelque temps. Le débat sur la violation du code électoral illustrée par la non installation du COS-LEPI (dans le cadre d’une complicité évidente entre le Parlement et le Gouvernement) est encore sur le tapis et il serait dangereux pour l’avenir du pays d’en rajouter.

J’ai délibérément choisi de ne pas m’étendre sur l’idée qui consiste à considérer le traitement (salaires et autres) promis aux magistrats comme un facteur qui pourrait atténuer la gravité du retrait du droit de grève à ces derniers. Cette attitude est extrêmement insultante, méprisante et humiliante non seulement pour les magistrats mais aussi pour les autres travailleurs et pour tous les Béninois.

A mon humble avis, dans toutes les démocraties du monde, la recherche du juste milieu, permettant à chacun de jouir de ses droits sans pour autant représenter une menace pour les autres, est le chemin de la consolidation de la démocratie et de l’Etat de Droit. Trouver un meilleur encadrement au droit de grève (au lieu de son retrait pur et simple) est probablement la voie de la sagesse.

A suivre

Mathias Hounkpe

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