Pendant longtemps, Nathalie Hounvo Yekpé s’est auto-persuadée qu’elle était incapable d’écrire une pièce de théâtre. Plus précisément l’écrire jusqu’au bout… lui mettre un point final satisfaisant.
Elle (Nathalie Hounvo Yekpé) qui donne tout au théâtre depuis qu’elle à compris que ses études universitaires en géographie et aménagement du territoire ne seraient pas le sésame professionnel attendu ; elle qui contrairement à bon nombre de ses consœurs et confrères a trouvé, très jeune, au théâtre de quoi gagner sa vie et payer ses études ; elle qui reconnaît « avoir trois monstres en elle : la comédienne, la metteuse en scène et l’autrice », monstres qui guident sa vie et parfois la séparent de sa fille. Comme lors de la résidence « Découvertes » à Limoges qu’elle a effectuée en 2021 – 2022 ou en ce moment de résidence à la Comédie de Valence dans la Drôme. Des moments d’absence de son pays, le Bénin, éloignée de sa presque adolescente de fille, qui commence à trouver le temps long sans sa maman. Le prix à payer ? Sans doute, mais… la demoiselle doit savoir qu’il est évident que sa maman ne se sépare pas d’elle de gaieté de cœur… quand elle parle de sa fille, la lueur humide dans ses yeux en dit long.
Enfin un point final
C’est le dramaturge Michel Beretti, dont les passions pour l’écriture théâtrale et l’Afrique subsaharienne ne sont plus à démontrer qui a permis à Nathalie Hounvo Yekpé de terminer sa première pièce, « Trop de diable sous leurs jupes » . Une rassurante écriture à quatre mains qui propulsa le 3e monstre dans la vie de la jeune femme qui à partir de ce moment voulut écrire seule. Il fallut attendre 2020 pour que Nathalie Hounvo Yekpé rencontre Hassane Kassi Kouyaté, le boss des Francophonies limougeaudes, au Marché des Arts du Spectacle à Abidjan. Il lui proposa de participer au programme « Découvertes » conçu sur mesure pour favoriser l’émergence de jeunes autrices de théâtre. Il lui fallait, selon la règle, être accompagnée d’un parrain. Une « vieille » connaissance à elle s’impose, son compatriote béninois Sèdjro Giovanni Houansou (1).
Cap vers Limoges : le pays des fantômes !
Dès son entrée à la Maison des auteurs et des autrices, le choc, une bibliothèque riche et disponible. Choc encore plus puissant en découvrant la Bibliothèque Francophone Numérique au cœur de la ville, stupéfiant puit sans fond et lieu de mémoire des écritures francophones. Elle prend le temps de se nourrir des lectures audio de l’émission « Ca va ça va le monde » mise en ligne sur RFI. Et puis, et puis, il y a tous ces fantômes qui traversent la cuisine, les escaliers et la cour de la Maison. Ces fantômes que sont Koffi Kwahulé, Catherine Verlaguet, Marine Bachelot Nguyen, Gaëlle Bien-Aimée, Penda Diouf, Akim Bah… Des fantômes inspirants dont les enveloppes charnelles ont côtoyé ce lieu les années précédentes. Tous et toutes sont aujourd’hui les moteurs du théâtre francophone du Nord comme du Sud.
Tremplin ? Piste d’envol ?
Limoges est bien la ville où s’épanouit l’écriture francophone. Nathalie Hounvo Yekpé l’a expérimenté. Son passage à Limoges a montré son talent au réseau des serruriers : ceux qui ont les clefs ! Les clefs de l’édition : il a suffi d’un diner avec Emile Lansman, le soir de la lecture de sa pièce inachevée, Course aux noces et d’encouragements sincères de ce dernier pour que la perspective d’édition s’ouvre. Les clefs de la diffusion : Pascal Paradou, le serrurier de RFI, entendit la lecture et ni une ni deux la programma en Avignon pour « Ca va ça va le monde ». En plein mois de juillet, voilà que l’Institut français de Cotonou organise le voyage de la jeune femme qui se retrouve en Avignon à écouter Sa pièce. Elle qui s’était nourrie des pièces de ses prédécesseurs avec admiration et sans doute un brin d’envie, était là. A la place de choix. « Et tout d’un coup, j’y étais ! » .
Les clefs de la légitimité
Elle est repérée par l’Organisation Internationale de la Francophonie, partenaire du programme « Découvertes », qui la convie à une résidence d’un autre genre. Fin mai 2023, l’autrice béninoise s’envolera pour le festival Transamériques à Montréal où la Commission internationale du théâtre francophone organise une résidence d’une dizaine de jours, pour 5 jeunes créateurs. Une pépinière de créateurs qui échangeront, confieront leurs expériences tout en ayant accès à de nombreux spectacles, en comprenant mieux les différents dispositifs d’accompagnement… Pour Nathalie Hounvo Yekpé, ce moment québécois sera bénéfique aussi, pour sa propre compagnie théâtrale au Bénin, la compagnie Baani*. Le COVID a fait mal à Baani comme à bien des comédiens ou compagnies. Aucune assistance n’est venue de l’Etat béninois et cette résidence donnera des informations institutionnelles indispensables à tous. C’est pourquoi il est capital que des partenaires solides s’engagent auprès des jeunes artistes. Finalement, les sommes investies sont modestes pour le lancement d’une carrière, ça se tente, non ?
Notes
(1) Sèdjro Giovanni Houansou : Finaliste du Prix RFI Théâtre à deux reprises : en 2016 avec Courses au soleil, en 2017 avec La Rue Bleue, avant d’en être le lauréat en 2018 avec Les inamovibles.
(2) Baani : Bien (salutation) en langue dendi, du Nord du Bénin
Par Arnaud GALY, AGORA FRANCOPHONE