Art et identité africaine : Sculpture de Dodji Agbetoglo, un pont entre traditions et modernité

Dodji Kwami Agbetoglo face à sa sculpture

Dans un atelier caché dans les rues animées de Lomé, au Togo, l’artiste Dodji Kwami Agbetoglo donne vie au bois pour raconter des récits profonds, chargés de sens et d’émotions. Inspiré par les traditions africaines, les drames humains et les tensions entre modernité et passé, cet artiste sculpte des œuvres qui interpellent autant qu’elles émeuvent.

L’une de ses créations les plus saisissantes représente un homme nu, assis au soleil, la tête enfouie dans ses bras croisés sur ses genoux. Ses yeux, bandés de fils de fer, semblent refuser de voir la lumière. Ce corps sculpté, marqué par des scarifications, raconte des histoires multiples : celles des rituels sociaux africains, des pressions collectives et des combats intérieurs.

Au premier regard, cette sculpture renvoie à des pratiques ancestrales du Togo, comme le lynchage public, jadis utilisé pour punir ceux accusés d’adultère ou de fautes sociales graves. Lorsqu’un individu était accusé d’adultère, la communauté se réunissait sur la place publique pour rendre justice de manière brutale et exemplaire. Ce personnage, recroquevillé et marqué par des scarifications, semble porter à la fois la honte infligée par sa communauté, la marque des coups et blessures infligé par la population et la douleur d’un jugement sans appel.

Une autre lecture plus personnelle émerge. On y voit un homme accablé par les fardeaux de la vie, cerné par des soucis qui le pressent de tous parts, les yeux volontairement bandés, semble symboliser un refus de continuer à affronter les épreuves de la vie. Ses fils de fer deviennent un obstacle, mais aussi une échappatoire. Face aux pressions sociales, aux jugements implacables et aux défis personnels, celui de se couper du monde. Un geste d’abandon face aux fardeaux,  une forme de résistance silencieuse . Les scarifications, elles, racontent un passé chargé de douleurs, les marques des coups de la vie, mais aussi une identité gravée dans la chair. Sa nudité, elle, semble nous parler de l’état psychologique de cet homme. 

Dodji Kwami Agbetoglo, issu d’une lignée de chasseurs, sculpte le bois depuis plus de dix ans. Son art s’enracine dans les récits vodun, les rituels ancestraux et les paysages de son pays natal. Mais ses voyages, notamment en Chine, en Côte d’Ivoire et au Nigéria, enrichissent son regard et son style, mariant influences locales et internationales.

À travers cette œuvre, Dodji ne se contente pas de dénoncer les traditions oppressives. Il met en lumière les tensions modernes auxquelles l’Afrique est confrontée : la perte des racines culturelles, les pressions psychologiques croissantes et l’influence d’un monde globalisé.

« Nos chaînes ne sont pas toujours physiques. Elles sont aussi mentales et sociales », confie l’artiste.

Les créations de Dodji Agbetoglo ne sont pas de simples objets d’art. Elles interrogent, bouleversent, et ouvrent des dialogues. En immortalisant cet homme assis sous le soleil, nue, ses yeux bandés et son corps scarifié, il interpelle : comment l’Afrique peut-elle réconcilier ses traditions et les défis d’un monde moderne.

Dans son atelier de Lomé, Dodji continue de sculpter des ponts entre hier et aujourd’hui, entre le collectif et l’individuel. Ses œuvres, puissantes et pleines de sens, rappellent que l’art est une voix, une mémoire, et un miroir pour ceux qui osent le regarder de près.

Edith AWOUZOUBA – TOGO

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