Niché au cœur de Lomé au Togo, l’atelier Taye Taye du sculpteur togolais Kwami Dodji Agbetoglo est bien plus qu’un lieu de création.
L’atelier Taye Taye est un espace où le temps semble suspendu, où chaque objet respire une histoire et où le bois murmure ses secrets. Dès les premiers pas, l’atelier impose une atmosphère empreinte de solennité. Les sculptures, dressées dans leur silence, remplissent l’espace. Longues, élancées, elles adoptent des formes humaines sans visages identifiables. Surmontées d’asen, elles traduisent une quête d’identité universelle, une réflexion sur la société contemporaine et la complexité des relations humaines.
L’asen, dans la culture des populations de l’aire linguistique gbe en Afrique de l’Ouest (au sud du Ghana, du Togo, du Bénin, du Nigeria), est traditionnellement un objet rituel en métal, souvent utilisé pour honorer les ancêtres ou servir de support à des pratiques spirituelles. Mais dans l’œuvre de Kwami Dodji Agbetoglo, il est totalement dépouillé de sa dimension sacrée. Ici, l’asen devient un élément purement esthétique et symbolique, une réinterprétation qui traduit à la fois un respect des traditions et une volonté de se libérer de leurs contraintes spirituelles pour ouvrir un dialogue universel.
Chaque pièce semble être un pont entre le tangible et l’intangible, entre la matière brute et l’histoire qu’elle incarne.
« Je n’ai pas choisi d’être sculpteur, » nous confie Kwami, debout parmi ses œuvres, son regard perdu dans l’introspection. « Je viens d’une famille de chasseurs d’origine béninoise. Nous avons toujours eu un dialogue direct avec la forêt. » Ce lien ancestral transparaît dans son travail. Les bois qu’il récupère, qu’ils proviennent de chantiers, de routes ou des méandres des fleuves, deviennent entre ses mains des réceptacles de mémoire et des messagers de tradition.
En 2019, Kwami a voyagé en Chine, un moment marquant de son parcours. Là-bas, il a redonné vie à des bois flottés, détournant ces morceaux abandonnés pour en révéler une âme nouvelle. « Les bois que je touche ne sont pas choisis par hasard. Ils portent un message : celui de respecter nos traditions tout en interrogeant notre époque. »
L’atelier Taye Taye, bien qu’apaisé en cette journée de visite d’une trentaine de journalistes culturels d’Afrique de l’Ouest et du Centre , vibre d’une énergie palpable. Les outils semblent attendre sur les établis comme des gardiens silencieux. Le bois, qu’il soit brut, travaillé ou en transition, occupe chaque recoin, témoin du processus minutieux de création. Les lieux, dans leur simplicité, racontent autant que les œuvres elles-mêmes.
Kwami ne se limite pas au bois. Sur les murs, des tableaux et des tissus colorés enrichissent son univers artistique. Ces pièces, bien que secondaires dans sa démarche, témoignent de son insatiable envie d’explorer et de partager.
Pourtant, c’est dans ses sculptures que réside l’essence même de son art. Ces silhouettes longues et énigmatiques, dépourvues de traits distincts, portent un poids symbolique. Elles capturent à la fois l’individu et le collectif, le passé et le présent. Avec leurs asen, elles rappellent l’importance de l’héritage culturel et l’harmonie possible entre tradition et modernité.
Dans ce havre de création, Kwami Dodji Agbetoglo ne sculpte pas seulement le bois, il sculpte des histoires. Chaque œuvre devient un récit intemporel, un écho des voix passées, un miroir des préoccupations présentes. Sous le soleil du Togo, l’atelier Taye Taye transcende sa vocation créative : il est un espace d’héritage, de transmission et d’émerveillement.
