La directrice générale du Fonds monétaire international (Fmi), Christine Lagarde, est au Bénin depuis ce dimanche 10 décembre. Une visite de travail de trois jours au cours de laquelle, elle aura l’occasion d’échanger avec le président de la République, Patrice Talon et des acteurs du secteur économique et social. Dans ce entretien accordé au quotidien national »La Nation », elle nous livre les mobiles, les tenants et les aboutissants de son déplacement au Bénin.
La Nation : Madame la directrice générale du Fmi, c’est la deuxième fois que vous venez en Afrique cette année, après la Centrafrique et l’Ouganda en janvier dernier. Cette fréquence de vos déplacements s’inscrit-elle dans l’optique de redorer le blason du Fmi en Afrique qui reste, malgré le changement de paradigmes de ces dernières années, une institution « rigide » que les Africains associent aux fameux programmes d’ajustement structurel ?
Christine Lagarde : Tout d’abord, permettez-moi de vous dire combien je suis heureuse d’être à Cotonou. C’est ma première visite au Bénin en ma qualité de directrice générale du Fmi. Je suis principalement venue pour écouter : écouter directement les autorités, mais aussi tous les différents acteurs du secteur économique et social du pays. Je viens pour échanger avec eux sur la manière la plus productive dont le Fmi pourrait aider le Bénin à atteindre ses objectifs.
Pour répondre à votre question, cette visite s’inscrit dans le cadre du dialogue régulier que nous avons avec nos pays membres, et ce dialogue se passe très bien avec nos membres africains. En effet, nous proposons des conseils sur le plan économique, et avons appris beaucoup avec le temps. Nous avons adapté notre manière de penser, ainsi que nos politiques. Nous ne sommes plus « le Fmi de grand-papa ». Lorsque vous analysez les programmes que nous avons actuellement avec les pays africains, comme le Bénin par exemple, vous constaterez que nous accordons une place très importante aux « filets de protection sociale » pour les populations les plus vulnérables. Nous essayons de faire en sorte que les dépenses publiques consacrées aux secteurs de l’éducation et de la santé, que nous considérons comme des secteurs prioritaires, soient suffisantes pour faire face aux besoins.
Le Bénin attend des ressources financières dans le cadre du programme de la Facilité élargie de crédit approuvé depuis quelques mois. Que doit faire le pays pour que les décaissements ne souffrent pas et que les objectifs de développement et de lutte contre la pauvreté soient effectivement atteints ?
La mise en œuvre du programme se déroule de manière satisfaisante. Il y a deux semaines, notre Conseil d’administration a approuvé la première revue de l’accord sur la Facilité élargie de crédit contractée avec le Bénin. Cet accord a permis de débourser un montant additionnel de 22,6 millions de dollars, portant le montant des décaissements à 44 millions de dollars (soit un peu plus de 24 milliards de francs Cfa). Il est important de souligner que l’aide que le Bénin reçoit du Fmi est à taux d’intérêt 0 !
Depuis plusieurs années, le Bénin connaît une forte croissance économique. Cependant, cette solide performance macroéconomique ne s’est pas encore traduite par une réduction significative de la pauvreté, ce qui reste un défi majeur.
Nous aimerions voir de nouveaux progrès dans la protection sociale des populations les plus démunies, d’autant plus que les dépenses dans ce secteur ont été en dessous des objectifs que nous avons définis avec les autorités. A cet égard, les autorités nous ont assuré que les retards dans la mise en œuvre des réformes liées à la protection sociale étaient dus à des obstacles administratifs qui ont été levés, et que les objectifs concernant les dépenses en matière de protection sociale seront atteints.
Lorsque le Fmi s’engage aux côtés d’un pays, il a souvent son regard sur les politiques macroéconomiques de ce pays. Quelles appréciations faites-vous des mesures prises par le gouvernement du Bénin pour non seulement maîtriser les dépenses et le déficit budgétaire, mais surtout améliorer la croissance ?
Comme je l’ai déjà dit, les performances macroéconomiques du Bénin ont été bonnes. Le Bénin a mis en œuvre les politiques approuvées dans le cadre du programme appuyé par le Fmi, et le pays a respecté tous ses engagements. Je saisis l’occasion pour féliciter les autorités pour ces résultats.
Les autorités ont élaboré un programme visant à stimuler l’investissement (public et privé) pour aider à transformer l’économie en mettant l’accent sur l’agriculture et le tourisme. Ces réformes devraient permettre aux petites et moyennes entreprises d’améliorer le climat des affaires. En un mot, le Programme d’action du gouvernement (Pag) va dans la bonne direction, mais les objectifs de protection sociale doivent être atteints.
Revenons à l’organisme que vous dirigez depuis 2011. Quel bilan faire des actions menées par le Fmi sur le continent africain et quels sont les grands chantiers sur lesquels vous travaillez en ce moment ?
Je le répète, nos relations avec l’Afrique sont très bonnes, et nous continuons à travailler dur pour les améliorer. Je suis très satisfaite de la qualité du dialogue que nous entretenons avec les pays de la région.
Comme vous le savez, le Fmi soutient les pays par ses conseils stratégiques et offre son assistance technique pour améliorer les politiques et institutions économiques. Sur demande, nous fournissons également une aide financière pour atténuer les pressions exercées sur la balance des paiements, et dans le contexte des dix-sept programmes que nous avons actuellement en Afrique subsaharienne, nous avons octroyé environ 4,6 milliards de dollars de prêts, à fin octobre. Comme je le disais tantôt, ces prêts sont à intérêt 0 pour la plupart des pays, y compris le Bénin.
Nos efforts pour aider les pays à renforcer leurs institutions et leurs politiques sont probablement moins visibles, mais tout aussi importants que l’aide financière que nous fournissons. L’Afrique subsaharienne reçoit environ 40 % de l’assistance technique du Fmi, ce qui est considérable. Nous avons six centres régionaux d’assistance technique qui desservent l’Afrique. Grâce à ces centres, le Fmi aide les pays africains à renforcer leurs administrations et gouvernance dans plusieurs domaines, y compris la gestion des dépenses publiques, la mobilisation des recettes, ainsi que les politiques monétaires et de taux de change.
Le Bénin vient de rejoindre le Partenariat avec l’Afrique du G 20 (Compact with Africa) pour attirer les investissements privés. Qu’est-ce que le Bénin peut obtenir de cette initiative ?
La participation du Bénin au Partenariat avec l’Afrique envoie un signal fort aux investisseurs privés. Cela aidera à améliorer la visibilité du Bénin et à renforcer la confiance des investisseurs. Le Bénin bénéficiera de ses engagements avec les institutions autres que le Fmi, notamment la Banque mondiale et la Banque africaine de développement. Ces trois institutions, qui œuvrent de concert, pourront soutenir les efforts du Bénin visant à concevoir et mettre en œuvre des réformes pour stimuler les investissements privés.
Vous revenez sur le continent africain à un moment où un débat fait rage sur la suppression du franc Cfa. Qu’en dites-vous ?
Il appartient aux pays de la zone franc Cfa de décider de la nature de l’arrangement monétaire qu’ils souhaitent avoir. Le taux de change fixe du franc Cfa vis-à-vis de l’euro, garanti par la France, continue de fournir un ancrage important pour la région et est profondément enraciné dans le tissu social et économique. Comme dans d’autres arrangements monétaires, le succès du Cfa dépendra des politiques macroéconomiques mises en œuvre collectivement par tous les pays de la région, où le Fmi soutient un certain nombre de pays dans leurs programmes de réformes et de développement.
SOURCE : LA NATION