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Tolga est jeune encore, dans la force de l’âge. Il n’a qu’une quarantaine d’années. Seulement, sa main tremble et son regard sombre s’échappe parfois pour tenter de retenir ses larmes. Il a été enlevé, séquestré et torturé en Turquie dans une prison secrète, un « site noir », pendant plusieurs mois. Il en apporte, pour la première fois, un témoignage pour Le Monde et huit autres médias, associés dans l’opération #BlackSitesTurkey, coordonnée par le site d’investigation Correctiv. Un récit dans une langue simple et crue, où l’isolement, les passages à tabac, la privation de sommeil et de nourriture, les évanouissements, les piétinements, les électrochocs, les insultes des gardes révèlent une pratique barbare, toujours à l’œuvre, bien que cachée, et rappellent une des pages les plus sombres de la répression des années 1980 et 1990 contre les mouvements kurdes et d’extrême gauche.
Tolga n’est pas son vrai nom. Il refuse de rendre publique sa véritable identité par peur, dit-il. Depuis quelques semaines, il a obtenu un statut de réfugié dans un pays d’Europe de l’Ouest, dont il souhaite taire également le nom. Avec sa famille, il a pu fuir clandestinement la Turquie peu après sa libération, survenue un soir d’été 2017. « Et malgré cela, j’ai peur, une peur omniprésente, terrifiante, comme beaucoup d’autres. »
Au total, une vingtaine de cas d’enlèvements en Turquie ont été recensés à ce jour par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International et Human Rights Watch. Beaucoup plus, selon d’autres sources. A chaque cas, le même procédé : l’enlèvement brutal par quatre ou cinq hommes en civil, le transfert, puis l’isolement et les interrogatoires par plusieurs équipes de tortionnaires dans des geôles qui n’existent sur aucune carte. Des hommes, des tortionnaires et des installations qui appartiendraient aux services du renseignement turc, le MIT, d’après plusieurs indices concordants.
Tolga, comme les autres, est membre de la confrérie islamiste de Fethullah Gülen, le prédicateur turc exilé depuis 1999 aux Etats-Unis, autrefois aussi influent qu’invisible, soutien de Recep Tayyip Erdogan avant d’en devenir la bête noire et accusé, depuis deux ans, d’avoir orchestré la tentative de coup d’Etat de 2016. « Le pouvoir nous considère comme des terroristes, glisse l’ancien détenu. C’est absurde. »
« Ils vont nous supplier de les achever »
Lui est entré dans le mouvement religieux il y a vingt-cinq ans. Professeur de droit dans une université güléniste d’Ankara, également avocat dans un cabinet privé, il dit n’avoir jamais été arrêté auparavant. Aucun casier judiciaire, aucune voie de fait ni violence quelconque. Père de famille sans histoire, il affirme avoir déjà voté pour le Parti de la justice et du développement (AKP), le parti d’Erdogan, et aussi pour le principal parti d’opposition de centre gauche et laïc, le Parti républicain du peuple (CHP), « selon les élections », précise-t-il. Voix blanche et douleur nue : « Une répression brutale s’est abattue sur nous il y a environ cinq ans, elle est devenue systématique depuis le coup d’Etat. »
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