Actrices à part entière du système éducatif, les vendeuses de nourritures dans les écoles primaires, les collèges et même dans les universités publiques béninois subissent aussi les affres du débrayage qui paralyse l’école béninoise depuis début 2018. Entre mévente, pertes et dettes, elles souffrent en silence, dans l’ombre sans que personne ne s’intéresse à leur situation. Reportage.
Mardi 21 mars 2017, 10h, la cour de l’Ecole primaire publique de Podji-Agué dans la commune de Sèmè-Podji à l’Est de Cotonou est presque déserte. Par endroit, une poignée d’écoliers jouant entre eux. C’est pourtant l’heure de la récréation de la matinée. Un moment par excellence où la cour de l’école est bouillante et grouillante de monde, avec des cris, des jacassements et autres. A première vue, on pense que les apprenants sont encore en cours. Mais erreur ! La majeure partie des salles de classe sont désertes. Sous une paillote en tôle, quatre bonnes dames sont assises devant leurs étalages, l’air hagarde, elles semblent soucieuses, la main au menton. Elles, ce sont les vendeuses de nourriture de l’école. En l’absence d’une politique nationale de cantines scolaires digne du nom, ces bonnes dames à qui les responsables d’école ont donné des autorisations, sont chargées de combler le vide en proposant divers mets aux apprenants. Une activité quoique modeste, mais qui leur permet de faire face aux besoins fondamentaux de leurs familles.
Période de grève, période de dures épreuves
Malheureusement, depuis le début de l’année, tout comme durant les périodes de grève au cours des années précédentes, c’est la disette. Leurs clients qui étaient pourtant au rendez-vous tous les jours du lundi au vendredi se font désormais rares. C’est en tout ce qu’explique Rosaline Mèhouénou, la cinquantaine, vendeuse de riz dans cette école depuis les années 90. Selon cette dame de taille courte, les périodes de grève ont toujours été très éprouvantes pour les vendeuses de nourriture dans les écoles. « Quand il y a grève, nous souffrons beaucoup. Nous ne vendons pas et cela occasionne des pertes et beaucoup de dettes que nous avons du mal à régler », confie-t-elle.
En réalité, la plupart d’entre elles n’ont pas de capitaux propres. Par semaine, elles disent, acheter à crédit les ingrédients dont elles ont besoin pour leur vente de la semaine. Et ce n’est après la vente de la semaine qu’elles remboursent leurs fournisseurs afin de pouvoir s’approvisionner de nouveau. Du coup, toute perturbation entraîne des dérèglements à leur niveau. Dès lors, elles ont de sérieuses difficultés à faire face à leurs engagements vis-à-vis des créanciers.
Conscientes des perturbations qu’impose la grève, elles prennent quelques dispositions pour limiter les dégâts comme nous l’explique Rosaline. « Pendant la grève, nous sommes obligées de diminuer la quantité de nourriture que nous préparons par jour. Moi par exemple, je fais d’habitude cinq à dix Kilos de riz par jour. Mais avec la grève, j’ai réduit cette quantité et aujourd’hui je tourne autour de trois Kilos par jour ». Célestine Houènou vendeuse d’Akpan (bouillie à base de l’amidon consommée généralement avec de la glace) au Ceg Sèmè-Podji abonde dans le même sens. « Les pertes qu’occasionnent les grèves à notre niveau sont énormes. Pour ce qui me concerne par exemple, ça fait trois semaines que je me débats pour terminer les provisions qui normalement sont prévues pour une semaine de vente ».
Mais ces précautions s’avèrent parfois insuffisantes pour éviter les pertes. En effet, lorsque les syndicalistes décident d’une grève, personne ne se soucient d’informer les vendeuses d’école. Du coup, elles n’arrivent pas à prendre à temps leurs dispositions pour parer aux méventes. « Quand il y a grève, personne ne nous avertit. C’est une fois à l’école avec nos marchandises que nous nous confrontons à la réalité », explique Rosaline Mèhouénou. Allant dans le même sens, Célestine Houènou nuance, « Dans les années 90, quand il y a grève, les responsables d’école gardaient les enfants jusqu’à la récréation pour nous permettre de vendre nos marchandises de la journée avant de renvoyer les enfants chez eux après ». Ce qu’elle souhaite voir se reprendre.
Quant à Christine Amouzoun, Présidente du groupement des vendeuses du Ceg Sèmè-Podji, l’attitude des syndicalistes qui viennent chasser les enfants sans penser aux conséquences que cela peut engendrer sur les autres acteurs de la chaîne, comme les vendeuses, est déplorable.
Pour leur part, les responsables d’école estiment que ce n’est pas de leur ressort d’informer les vendeuses qu’il y a grève. C’est le cas d’Ismaïl Atoro, Directeur du Ceg1 Ekpè. Selon lui, un responsable administratif est le représentant de l’Etat dans son collège. Il ne peut donc faire la propagande d’un mouvement de grève. « Ma mission c’est de faire passer la volonté du Chef de l’Etat dans mon collège. Je dois donc tout mettre en œuvre pour que les activités pédagogiques se déroulent normalement et sans perturbation », précise-t-il. Toutefois, il nuance ; « lorsqu’il y a une sortie pédagogique ou une autre activité qui pourrait entrainer l’absence des élèves, nous nous chargeons de les informer afin qu’elles prennent leur disposition ».
Du côté des syndicalistes, on tente aussi de dégager sa responsabilité. Mathias Agbassi estime que faire le procès aux responsables syndicaux de ne pas informer les vendeuses des mouvements de grève est une fuite en avant à partir du moment où avant d’aller en grève, les organisations syndicales déposent toujours une motion de grève. Il revient donc, aux responsables d’école d’informer tous les acteurs intervenants dans leur structure.
Entre incapacité du gouvernement et des partenaires sociaux à s’entendre pour la bonne marche des activités éducatives, les victimes, apprenants et vendeuses ne souhaitent qu’une chose, retrouver le chemin de l’école, pour les uns, afin d’apprendre davantage, les autres, pour écouler leurs marchandises.