La Tunisie malade de ses patriarches, un article de Le Monde.fr – Actualités et Infos en France et dans le monde

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Les dinosaures de la politique tunisienne, après avoir pactisé à la faveur de la transition démocratique, épuisent désormais le pays dans leurs querelles de pouvoir.

Le président Béji Caïd-Essebsi, 92 ans, à gauche, et Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste, 77 ans, à droite

L’expérience tunisienne suscite de plus en plus un sentiment mêlé de sympathie et de frustration. Sympathie pour la seule transition démocratique du monde arabe, menée depuis la chute du dictateur Ben Ali, en janvier 2011, jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution, trois ans plus tard. Frustration face à la crise sociale où s’enlise le pays, les uns mettant en cause le fossé croissant entre le littoral méditerranéen du pays et les provinces de l’intérieur, d’une part; les autres soulignant les blocages d’une économie largement étatisée dès l’ère Bourguiba, d’autre part. Il est pourtant une pesanteur tunisienne plus rarement dénoncée: le détournement par des dirigeants vieillissants, englués dans leurs querelles d’ego, d’une révolution pour laquelle de jeunes manifestants avaient risqué, et parfois sacrifié leur vie.

DEUX CHEIKHS OBSEDES L’UN PAR L’AUTRE

La pacte noué entre Béji Caïd-Essebsi, élu président de la République en décembre 2014 avec 55,7% des voix, et Rached Ghannouchi, chef et fondateur du mouvement islamiste Ennahda, a été initialement bénéfique pour la jeune démocratie tunisienne. Il a en effet apaisé les tensions entre Nidaa Tounes (L’Appel de la Tunisie), le parti lancé en 2012 par Caïd-Essebsi, et Ennahda, victorieuse des élections à la Constituante d’octobre 2011. Ghannouchi, après avoir pris acte de sa défaite aux législatives d’octobre 2014 (28% des voix contre 38% à Nidaa Tounes), avait refusé de présenter un candidat aux présidentielles, favorisant l’élection de Caïd-Essebsi. Une forme de co-gestion du pays s’était alors instaurée entre Nidaa Tounes et Ennahda, propice à une stabilité dont la Tunisie avait grand besoin pour sortir des turbulences post-révolutionnaires, mais dénoncée par les autres partis pour sa neutralisation du débat démocratique.

Un tel consensus entre les deux « cheikhs », ainsi que Caïd-Essebsi et Ghannouchi sont appelés par leurs fidèles respectifs, a commencé de se fissurer lorsque le chef de l’Etat a confié la direction du parti présidentiel à son propre fils Hafedh. Cette dérive népotiste a provoqué une dissidence au sein de Nidaa Tounes, en partie surmontée grâce au loyalisme des députés islamistes. Mais le Premier ministre Youssef Chahed, nommé avec l’aval du chef de l’Etat en août 2016, a progressivement pris son autonomie, grâce au soutien actif d’Ennahda. Le divorce est aujourd’hui consommé entre Caïd-Essebsi et Ghannouchi: celui-ci accuse celui-là de vouloir briser la dynamique parlementaire de la constitution de 2014, ce à quoi le chef de l’Etat riposte en agitant de nouveau l’épouvantail islamiste. La querelle virulente et publique entre les « deux cheikhs » vire parfois au courrier du coeur: Ghannouchi a récemment envoyé des fleurs à Caïd-Essebsi pour son 92ème anniversaire, fleurs que le chef d’Etat aurait refusé d’accepter…

ENFIN PLACE AUX JEUNES EN 2019?

Caïd-Essebsi est, depuis la chute en novembre 2017 du despote Mugabe au Zimbabwe, devenu le doyen des chefs d’Etat du monde entier. La Tunisie se dispenserait volontiers d’un tel record, elle dont 38% de la population a moins de 25 ans. La recomposition post-Ben Ali a de manière générale échoué à prendre en compte la jeunesse tunisienne, largement exclue des nouvelles directions politiques, et de plus en plus gagnée par un abstentionnisme délétère. Cette jeunesse en rupture s’est en revanche retrouvée au premier rang des vagues de protestation sociale qui ont secoué, en janvier 2016 et janvier 2018, le centre et le sud de la Tunisie, soit les provinces où était née la révolution de 2011. Le renouvellement des générations n’est pas plus sensible à la tête d’Ennahda, où Ghannouchi, exilé de 1989 à 2011, continue d’imposer sa ligne à des cadres plus présents sur le terrain.

Les municipales de mai 2018 ont vu une ouverture relative du champ politique, même si l’émergence de listes indépendantes reflète plus une constellation de sensibilités locales qu’une alternative nationale au bipartisme dominant. Les scrutins législatif et présidentiel, annoncés pour l’automne 2019, devraient enfin permettre à la génération Caïd-Essebsi/Ghannouchi de passer le flambeau. Rien n’est pourtant moins sûr, tant le bras de fer entre les « deux cheikhs » accapare la classe politique, voire ravive des tensions entre islamistes et nationalistes que l’on croyait surmontées. Le danger n’en est que plus sérieux de dilapider le crédit démocratique de la Tunisie dans des règlements de compte d’un autre âge. Espérons que les « deux cheikhs » auront la sagesse de préparer une authentique relève avant que l’exaspération populaire ne leur impose de quitter la scène bien plus brutalement. Il en va de la place de chacun de ces « deux cheikhs » dans l’histoire de leur pays.

Il en va surtout de l’avenir de la Tunisie et de sa jeunesse.

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