Réflexion du politologue Mathias HOUNKPE : Mode d’emploi des autocrates des temps modernes !

Au gré de mes lectures, je suis tombé, il y a quelques jours, sur le livre de Steven Levitsky et Daniel Ziblatt intitulé « Comment meurent les démocraties », publié chez Crown New-York en 2018. A la lecture de ce livre, je ne peux m’empêcher de partager avec vous de larges extraits, ci-dessous que j’ai tirés des pages 77 à 96.

L’ouvrage, tel un livre d’histoire, fourmille d’illustrations que les auteurs se sont procurées sur tous les continents pour étayer leurs affirmations. Cet article, le premier, ne porte que sur l’une des manières par lesquelles les démocraties peuvent mourir, d’autres étant exposées dans le livre. En l’occurrence, il s’agit de la stratégie qu’ont utilisé et utilisent encore des gouvernants élus démocratiquement pour assassiner la démocratie de manière méthodique.

Je reviendrai prochainement sur d’autres aspects développés dans cet ouvrage. En ce qui concerne le présent papier, je précise que les ajouts venant de moi-même sont mis entre crochets, pour éviter toute confusion avec les propos des auteurs du livre.

« … La méthode à laquelle recourent des leaders élus démocratiquement [pour miner, travestir, fausser, subvertir la démocratie] est simple mais subtile. Généralement, l’assaut contre la démocratie commence doucement […] de manière presqu’imperceptible pour la plupart des citoyens [puisque] les élections s’organisent toujours, l’opposition est toujours représentée au Parlement et les journaux indépendants circulent encore.

L’érosion de la démocratie se fait par bribes, à petites touches successives, par de menues mesures […] généralement prises sous un vernis légal puisqu’elles sont adoptées par le Parlement et jugées conformes à la constitution par la Juridiction constitutionnelle, sous le couvert de la poursuite d’objectifs légitimes, parfois même louables, tels que la lutte contre la corruption, l’amélioration de la qualité de la démocratie, le renforcement de la sécurité de la nation, l’assainissement du processus électoral…

Afin de mieux comprendre comment fonctionne l’assaut contre la démocratie, il est utile d’imaginer un match de football. Afin de garantir la victoire, il faut commencer par contrôler l’arbitre, ensuite écarter au moins certains des meilleurs joueurs (stars) de l’autre équipe, enfin réécrire les règles du jeu afin de consolider les avantages acquis …

[Voyons maintenant comment tout ceci peut s’appliquer en politique]

Dans les Etats modernes, il y a plusieurs institutions chargées de mener des investigations et de sanctionner les fautes [commises] aussi bien par les officiels que par les citoyens ordinaires. Il s’agit, entre autres, du système judiciaire, des organismes en charge de faire respecter les lois, des services de renseignement, du service des impôts, des autorités de régulation […] Contrôler ces entités non seulement met le gouvernement à l’abri, mais encore lui offre un puissant moyen de faire appliquer la loi de manière sélective … [Ce sont les arbitres !]

Une fois les arbitres sous contrôle, [l’on] peut maintenant se tourner vers les opposants. Les autocrates [de notre époque] n’éliminent pas toutes traces de dissidences [comme cela se faisait par le passé]. Plusieurs d’entre eux font l’effort de s’assurer que les acteurs-clés, [c’est-à-dire] toutes personnes capables de mettre en difficultés le gouvernement, sont écartés, affaiblis ou achetés. Par acteurs-clés il faut entendre [ici, non seulement] les opposants politiques [mais encore] les hommes d’affaires qui financent l’opposition, les grands organes de presse et, dans certains cas, les leaders religieux ou [socio-]culturels qui jouissent d’une certaine stature morale publique.

Une fois les acteurs majeurs de l’opposition, les médias et les hommes d’affaires écartés ou achetés, l’opposition est complètement dégonflée, réduite à la portion congrue. L’on peut maintenant passer à la vitesse supérieure, c’est-à-dire changer les règles du jeu. Afin de consolider leur pouvoir, les autocrates des temps modernes lancent des réformes de la constitution, du système électoral et d’autres institutions de manière à désavantager ou affaiblir considérablement l’opposition …

En contrôlant les arbitres, en affaiblissant les opposants et en changeant les règles du jeu, les leaders élus peuvent établir un avantage important – et permanent – sur leurs opposants. L’une des plus grandes ironies de cette manière dont meurent les démocraties est que la défense de la démocratie peut être utilisée comme prétexte pour l’anéantir … »

A suivre !

Mathias HOUNKPE

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